Un récit de vie, c’est quoi ?
« En fait, tu fais des biographies ? » C’est la question que j’entends le plus souvent lorsque je parle de mon métier de praticienne en récits de vie. Parce que « Oui mais non » n’est pas une réponse très constructive, je vous propose ici une brève explication que j’espère la plus limpide possible sur ce qu’est le récit de vie tel que je le pratique.
« La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient. » Gabriel García Márquez
Alors, oui, les récits deviennent le plus souvent des livres, c’est ce qui peut prêter à confusion avec des biographes qui appellent leur travail récit de vie. La différence majeure et fondamentale réside dans le postulat que je vais ici résumer en quatre éléments (ma définition n’est donc pas exhaustive et n’a pas la prétention de l’être). Ces quatre éléments sont pertinents quel que soit le mode de production du récit de vie (peinture, sculpture, photographie, théâtre, format audio, etc) :
Le récit de vie, c’est une histoire de rencontre.
Écrire un récit implique la praticienne autant que la personne qui se raconte, on appelle cela la co-construction. En clair, cela signifie que le récit est un travail commun vers un but commun. Je suis toujours présente dans les récits que j’écris, par une introduction, dans le texte sous forme de paragraphes ou en dialogues avec la personne qui se raconte. Le passage de l’oral à l’écrit est également basé sur mes choix. Si, pour les besoins de la personne qui se raconte, interprétation du récit il y a, elle se fait à deux. On sort de la problématique objectivité/subjectivité liée à l’Histoire pour aller à la rencontre de l’autre.
Le récit de vie est un processus de formation.
Ce qui importe n’est pas l’objet qui ressortira d’un certain nombre d’entretiens enregistrés, c’est la réflexion qu’amène la création de cet objet. C’est « une recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels » (Pineau & Le Grand, 2013). Cette réflexion peut être partagée avec la praticienne ou rester de l’ordre de l’intime. Toujours inachevé, le récit nous fait réfléchir sur notre place dans une société faite de relations elles-mêmes tributaires d’autres relations (de pouvoir, de filiations, de statut social, etc). C’est une modeste recherche de clarté qui fait bouger les repères.
Le récit de vie demande une bonne dose de bienveillance.
Accueillir l’histoire de l’autre, écouter sans jugement, être capable de comprendre les enjeux sous-jacents à chaque récit, penser au confort de la personne qui se raconte, ne pas s’approprier son récit d’une façon ou d’une autre, faire de sa propre subjectivité une source de richesse, ne sont pas des aptitudes innées que l’on applique au quotidien. Cette congruence s’acquiert grâce à une solide formation, beaucoup de pratique et de constantes remises en question (par le biais d’un travail sur sa propre histoire, par des intervisions en groupe, par de nouvelles formations, etc.).
Le récit de vie est une démarche militante.
Je n’écris pas de récits pour faire fortune (ce qui a par ailleurs peu de chance d’arriver...) mais parce que je suis convaincue. Non l’avons abordé plus haut : tout est affaire de relations. Créer du lien est ainsi une démarche éco-logique. Nous ne nous soucions que de ce qui nous est commun, le récit nous relie en mettant en avant nos attaches et nos points communs, dans les échos et les résonances qu’il provoque en nous. Le récit de vie ne se pratique pas seul, il relie les hommes avec les femmes, les humains avec la nature et les animaux, les personnes âgées et les enfants, les pauvres et les riches, les habitants d’un même quartier ou les professionnel.le.s d’une même entreprise, par une histoire commune. Il permet d’envisager des « peut-être ».
Pineau, G. & Marie-Michèle (2017) Produire sa vie : Autoformation et autobiographie. Téraèdre ([Ré]édition)
Dominicé, P. (2002) L’histoire de vie comme processus de formation. L’Harmattan (Défi-formation)
Pineau, G., Le Grand, J.L. (2013). Les histoires de vie. Presses universitaires de France (Que sais-je?)
Le Grand, J.L. (…) Définir les histoires de vie : sus et insus « définotionnels ».