Vies de religieuses
On a tort de penser que la vie d’une religieuse est forcément silencieuse ou cloîtrée. Les Sœurs de Saint Maurice ont fait un choix différent. Elles ont une activité professionnelle, comme n’importe qui, formant ce que l’on appelle une communauté active ou apostolique. Active, le mot est faible. Je le découvre depuis février 2020, date à laquelle je commence à travailler pour leur congrégation située à Bex en Suisse afin de recueillir la voix de certaines sœurs âgées. La communauté des Aînées rassemble des sœurs dont le regard à propos de l’histoire de leur congrégation couvre une large période. Ce projet de collecte vise ainsi autant à conserver et à assurer la transmission d'un patrimoine humain par le biais de leurs archives qu’à offrir à certaines de ces femmes un temps pour revenir sur l’immensité du travail qu’elles ont accompli.
Un livre Au cœur du Valais chrétien : les sœurs de St-Maurice en Valais écrit par Marcelle Dalloni en 1952 retrace leurs engagements depuis leur fondation en 1861. Septante ans restent à écrire et les Sœurs de Saint Maurice ont fait le choix de valoriser l’expérience directe des membres de leur communauté. Quoi de mieux que le récit de vie ? C’est ainsi qu’elles font appel à moi.
Mon métier n’est pas banal, il consiste à écouter ce que les personnes souhaitent raconter de leur vie ou d’un moment particulier, à mettre en forme ces histoires puis à les restituer sous la forme qui a été décidée. Je questionne la transmission, ce que l’on raconte du passé dans le présent. Les personnes que je rencontre m’étonnent, elles bousculent souvent mes certitudes. C’est ce qui se produit aux côtés des Sœurs de Saint Maurice. Au fil des mois, elles m’ont appris à considérer les femmes qui entrent « dans les ordres » autrement.
Au fil des récits, je les imagine à Zurich où elles accueillirent au sein du Foyer Höttingen des personnes aux moyens modestes. Je les découvre traversant des rivières à pied dans la brousse de Madagascar. Elles ont œuvré pour offrir un enseignement aux femmes et aux enfants des classes populaires. Elles ont supervisé la construction d’institutions dévolues au soin de la population du Valais, développant une réflexion précoce et en profondeur sur l’accompagnement des personnes et le soin aux malades. Elles dépistent la lèpre dans des endroits reculés du monde, elles aident les femmes à donner la vie, elles accompagnent la fin de la vie et elles m’en parlent comme si tout ceci était normal. Si vous pensez avoir une vie riche et pleine d’aventures, prenez un jour le temps de discuter avec une religieuse apostolique. Vous pourriez être intimidé.e.
Pourtant lorsque je parle de mon travail avec les Sœurs de Saint Maurice autour de moi, une question surgit : « Que font-elles de leurs journées ? Elles prient ? » J’essaie alors d’expliquer leurs nombreuses activités, les joies, l’épuisement, les enjeux sociaux et politiques, les embûches auxquels elles ont fait face et je me découvre malgré moi porte-parole enthousiaste d’un univers qui est très éloigné du mien. Difficile de grandir en Suisse sans être confrontée de près ou de loin à la religion catholique mais je suis forcée de constater ma méconnaissance du sujet voire le peu d’intérêt qu’il provoquait en moi. Il me faut être honnête, les religieuses que j’ai rencontrées ne correspondent pas à l’image que je m’en faisais. Je suis impressionnée par leur abnégation et par leur capacité à vivre en communauté. Les deux ne coulent pas de source, même pour des religieuses. Leur âge, leur langue, leur formation et leur milieu social peuvent être très différents et cela a un impact non négligeable dans leur vie quotidienne. La constance de leur foi et de leurs engagements est leur force ; elles sont tout simplement inspirantes.
Mis en page et édités par Camille Carbonaro, les trois livres des sœurs offrent un aperçu des individualités qui composent leur congrégation religieuse. Tout comme l’assemblage des vitraux forme un dessin harmonieux dans une église, leurs récits forment un instantané de ce que veut dire pour une femme “être religieuse” au XXe siècle dans une congrégation ouverte au monde laïc.
Les sœurs proposent d’ailleurs un accueil à La Villa pour des retraites, des cours de yoga, des ateliers ou simplement pour se reposer entre deux randonnées dans un lieu magique.